Bonjour à vous,
dernièrement j’ai vu un film et un documentaire qui m’ont beaucoup parlée, car ils faisaient écho à mon vécu. Alors aujourd’hui, c’est un billet un peu plus personnel que je vais écrire.
J’ai vu le film Pure, avec Alicia Vikander, que m’avait conseillée une lectrice du blog (coucou et merci, si tu te reconnais ! ). Ce film m’a vraiment marquée. L’histoire se passe en Suède, dans une banlieue, et on y découvre Katarina, une jeune fille déscolarisée, déjà en échec dans sa jeune vie, suivie par les services sociaux, vivant avec une mère alcoolique. Le film commence avec Katarina qui, par hasard, par erreur, découvre Mozart, et est subjuguée par la beauté et la force de sa musique. On la voit d’abord écouter La méditation de Thaïs de Massenet, et conclure qu’elle ne veut plus de cette vie laide et sale qui est la sienne, qu’elle désire de la pureté.
Fascinée par la musique classique, elle se rend à un concert dans un auditorium, et découvre l’autre monde, celui de la bourgeoisie, des gens riches, élégants, bien élevés, un monde où les apparences sont belles et raffinées. Le contraste avec son monde à elle est frappant. Même la belle Alicia Vikander, en Katarina mal peignée, pas maquillée et vêtue d’amples tee-shirt informes, détonne dans cet univers gracieux et ordonné. Elle désire à tout prix pénétrer cet autre monde, s’élever, elle veut quitter sa misère et la pauvreté intellectuelle de son microcosme. Être entourée d’artistes, de musiciens, de gens cultivés et raffinés, qui lisent, qui se passionnent pour autre chose que des jeux vidéos et les clips de MTV (les deux activités de son petit-ami lorsqu’il ne travaille pas).
Je ne vous raconterai pas la suite, car à partir de là, le film et mon vécu ne se ressemblent plus. Mais ce début, ce contraste entre deux univers sociaux, c’est un peu mon histoire. Évidemment, ce n’est pas aussi extrême que dans le film : je ne viens pas d’un quartier glauque et défavorisé, ma mère n’était pas alcoolique, je n’ai pas été déscolarisée ! Et lorsque j’ai voulu changer de milieu social, ce n’est pas vers la bourgeoisie des auditoriums, des conservatoires, vers l’intelligentsia que je me suis tournée. Mais j’ai vécu quelque chose de similaire : très jeune, j’ai évolué dans des groupes de gens pas très intéressants, et surtout pas très ouverts sur le monde. Très tôt, mon monde a été très limité : du rap, des jeux vidéos, des pétards, et pas beaucoup de perspectives. Enfant, j’avais été si curieuse, si enthousiaste… adolescente je suis devenue apathique, renfermée, intolérante. J’avais un petit-copain qui n’était pas vraiment ce qu’on appelle une « bonne fréquentation ». Je me suis enfermée dans un carcan très, très étriqué. J’ai éteint tout ce qui me faisait vibrer, j’ai essayé de me couler dans un moule qui ne me plaisait pas beaucoup mais je n’avais pas d’autre choix : dans mon village, c’était comme ça et pas autrement. Dans mon collège, c’était comme ça et pas autrement. Être différent, c’était se mettre à l’écart et être dédaigné, je n’étais pas capable de faire ce choix. Et pourtant ce n’était pas moi : je n’aimais pas le rap, Skyrock, les jeux vidéos, les pétards, ne rien faire. Au fond de moi, j’aimais le rock, déjà peut-être le métal, la folk. Je dévorais les livres, Emily Brontë, Zola, Flaubert, mais je n’en parlais pas. Comme Katarina, il y avait une large part de moi qui rêvait de pureté, mais j’évoluais dans un univers sale et dégradant. Je ne vous raconterai pas tout, il y a des choses qui ne se disent pas sur un blog, et dont j’ai pu parler plus tard, une fois adulte, avec des thérapeutes ou avec mes proches. Mais en tous cas, pendant des années, six, sept ans, j’ai été quelqu’un que je n’avais pas envie d’être, dans un monde qui me dégoutait.
À la fin, vers 19 ans, je ne savais même plus que j’avais pu être autrement. J’avais mis mes désirs de pureté de côté, je pense que je m’étais résignée, et surtout que j’étais devenue aussi étriquée d’esprit que les gens que je fréquentais. J’étais bête, je ricanais, je ne réfléchissais plus beaucoup, j’étais bagarreuse, malpolie, j’étais devenue moi même une « mauvaise fréquentation »…
Et puis, par hasard, par une amie, j’ai découvert un groupe de personnes de mon âge, très différents de mon univers. Au départ, ils ne m’intéressaient pas beaucoup, je m’étais persuadée que j’étais bien, dans mon monde étroit et violent, limité à un petit périmètre de cinq kilomètres autour de mon village. Et puis, la musique a été le premier déclic. Ces inconnus, la plupart musiciens, tous étudiants, écoutaient ce que j’aimais, des groupes de rock, de métal, ils organisaient des festivals de musique dans ma région, des concerts à Metz, des fêtes géniales chez eux, ils connaissaient tout le monde en ville, sortaient dans des bars, parlaient de livres et de politique, étaient engagés, et assumaient leurs pensées et leurs paroles. Tout cela était absolument nouveau pour moi. À côté d’eux, je me sentais gueuse. J’avais honte de mon langage plein de gros mots, de mon cerveau ramolli et encrassé qui n’était plus capable de réflechir par lui-même, de mon agressivité. J’étais toujours à côté de la plaque, en leur compagnie. Je disais systématiquement ce qu’il ne fallait pas, ne réagissait pas comme il fallait, je mettais les pieds dans le plat. Ç’a été rude, un choc pour moi. Évidemment, j’étais une telle péquenaude qu’il m’était impossible d’entrer dans leur monde, ils ne pouvaient pas m’accepter. Mais j’ai insisté. Oui, comme une vraie sangsue opportuniste, j’ai senti que mon salut dépendait de mon intégration à ce monde qui me plaisait tant, alors je n’ai pas abandonné. J’en ai bavé, vous pouvez me croire ! Ce rejet, ces mois de traversée du désert social, alors que je fêtais mes vingt ans, ç’a été une claque, pour mon égo et pour tout le reste. Je me suis éloignée de mes anciennes connaissances, mais je n’ai pas, pour autant, gagné de nouveaux amis dans la foulée. J’étais assez seule. Ça m’a remis les idées en place, mais surtout ça m’a appris. Beaucoup. Ça m’a appris à ne pas dire toutes les bêtises qui me passaient par la tête. À réflechir, à nouveau. À attendre, à comprendre, à écouter. À sourire aussi. À calmer mon impétuosité. Petit à petit je me suis adoucie, j’ai remis mon cerveau en marche, je l’ai nourri, nourri, encore et encore, j’ai lu tout ce qu’on me conseillait, écouté tous les groupes qu’ils aimaient et que, miracle, j’aimais aussi (et que j’attendais depuis des années !) , découvert des choses fabuleuses, abandonnées celles qui ne me plaisaient pas mais que je traînais par habitude. Petit à petit, j’ai conquis une personne après l’autre de ce groupe d’étudiants si passionnés, si vivants, si intéressants. J’ai pris mon temps, j’ai fait des erreurs, j’ai réparé, et… treize ans plus tard, j’ai un enfant avec un de ces étudiants, et les autres sont mes meilleurs amis, l’un d’entre eux est aussi le parrain de Little. C’est devenu mon monde. Enfin, non, ça ne l’est pas devenu. Je crois que j’y appartenais au départ, de par mon éducation, ma famille, mais que je l’ai perdu et m’en suis éloignée à cause de rencontres, de chemins qui bifurquent, de mauvais choix de ma part. À vingt ans, j’en suis sûre, j’étais sur le fil du rasoir, prête à basculer du mauvais côté de ma vie. Par le hasard puis par la volonté de m’extirper de mon milieu social, j’ai rencontré des gens qui ont changé ma vie. Je suis tellement fière et heureuse de les avoir dans ma vie aujourd’hui, et du chemin parcouru depuis cette rencontre.
Voilà, voilà pourquoi Pure m’a tant touchée. J’ai été Katarina, à côté de la plaque, un éléphant dans un magasin de porcelaine. Je me suis sentie humiliée d’être si nulle, de ne pas avoir les bons codes, les bons filtres de lecture du monde, j’ai eu honte de moi-même, comme elle. Et comme elle, j’ai refusé d’accepter un état qui me rendait malheureuse, j’ai voulu m’élever socialement parce-que je savais que ça me rendrait plus heureuse et que j’y trouverais de quoi m’enrichir intérieurement. Je ne me trompais pas. Grâce à mes amis et Robinson, je pense que je suis devenue la personne que je désirais être éperdument alors que je pensais que ça me serait toujours inaccessible. Je ne renie rien, je suis passée par tout ça, j’ai appris des choses durant mes années noires, auprès de mes mauvaises fréquentations. Je me sens riche de ces expériences contrastées. Peut-être qu’il n’y a pas de hasard et que tout cela était écrit, que je devais en passer par là, par ces chemins alambiqués, pour arriver où je suis aujourd’hui.
♥♥♥♥♥
L’autre film qui m’a touchée, dernièrement, est un documentaire sur Netflix : I am Maris. C’est la thématique du yoga qui m’a attirée, et puis finalement j’ai trouvé plus de points communs encore entre Maris et moi.
Bon, c’est typiquement LE documentaire à l’américaine, avec ses moments larmoyants, sa musique émouvante, le schéma habituel de la descente aux enfers suivie de la renaissance du phénix, le message empli d’espoir, et les gens pleins de bons sentiments. Malgré tout, j’ai aimé regarder ce documentaire, inspirant et lumineux. Les peintures de Maris sont magnifiques, et la jeune femme est, simplement, touchante.
Pour résumer, il s’agit du témoignage de Maris sur sa maladie mentale. Elle souffre d’anxiété, d’angoisses incontrôlables. Cela a entrainé, à l’adolescence, un épisode d’anorexie et une hospitalisation en urgence. Puis, Maris a découvert le yoga, et ça l’a aidée à aller mieux.
Je grossis un peu le trait, car en réalité ce n’est pas si simple, pas si linéaire. Les peurs de Maris n’ont pas disparues. Elle ne donne pas de leçon, de recette, elle admet que ses troubles sont toujours là et ne disparaîtront jamais, elle apprend juste à vivre avec et à les anticiper.
Vous vous en souvenez peut-être, j’ai aussi connu un épisode d’anorexie. Je n’étais déjà plus adolescente, c’était il y a cinq ans. Ça m’a fait quelque chose d’entendre à nouveau parler des symptômes et explications psychologiques de ce trouble alimentaire. Le besoin de contrôle lorsqu’on perd pied dans sa vie, et toutes les petites manies qui deviennent de véritable tocs qui régissent le quotidien…
Je ne reviendrai pas sur tout ça, j’avais écrit un billet à l’époque, dans lequel je mettais cartes sur table avec vous (ici). Je voulais seulement vous parler de ce documentaire car je l’ai trouvé beau et inspirant.
J’ai noté une phrase que dit Maris, qui peut paraître évidente et simple mais parfois cela a du bon de se le rappeler, et je souhaiterais terminer ce long article avec ses mots :
Quand les choses vont dans le bon sens pendant un moment, on oublie ce qui n’allait pas. On oublie qu’on est qui on est, grâce aux épreuves qu’on a traversées.
Maris Degener
Bonne semaine à vous ! À bientôt.